Point de vue de Charles Maurras sur l'échec de la restauration
Point de vue de Charles Maurras sur l'échec de la restauration
Extrait de l'Action française du 29 septembre 1920 (et qui comprend aussi un article de Marie de Roux intitulé « Le comte de Chambord et la notion de souveraineté ».)
Article
"En donnant l'ordre de faire célébrer à Paris, dans la paroisse des rois de France, le centenaire de la naissance du duc de Bordeaux, Monseigneur le duc d'Orléans pourrait bien avoir obligé beaucoup de Français à des méditations qui sont lourdes de sens.
Celui que nous appelons Henri V n'a pas régné. Sa destinée normale a été déviée par les circonstances : erreur des peuples, erreurs des chefs. Cependant, ce qu'il avait représenté à la France de 1820, c'était l'avenir. Avenir idéal qui n'a pas été, mais qui n'a pas été aboli tout entier.
Le vaincu de 1830, de 1849, de 1871, de 1873, gardait dans sa défaite autre chose qu'un drapeau sans tache dont on le conviait à s'envelopper comme d'un linceul. Il gardait le principe mainteneur et sauveur qui, en toute rencontre, lui donna l'avantage et le privilège d'avoir raison. Il en gardait en outre la conscience et, comme on disait autrefois, comme il faudrait toujours dire, l'esprit.
Le comte de Chambord avait confié aux autorités de l'esprit les hautes prévisions que le sens national avait inspirées à sa grande âme ; l'histoire qui a suivi n'a fait qu'en recueillir les vérifications plus émouvantes, plus instructives les unes que les autres.
Nos catastrophes devinées et publiquement annoncées par le roi sont le chant séculaire de l'erreur des révolutions. Le gouvernement de Juillet, qui eût pu faire une si belle Régence, était déjà une erreur. Le second Empire et la seconde République étaient d'autres erreurs plus fortes. La troisième République en était une nouvelle. Nous avons payé et nous payons encore tout cela.
Quand le pays saura relier l'effet à la cause et comprendre comment la méprise intellectuelle devait amener la ruine matérielle, il dira tout entier ce que tant d'esprits commencent à dire ou à penser : — Ah, si nous n'avions pas fait la bêtise ! Ah ! si nous avions gardé la puissante organisation, l'autorité et les libertés d'autrefois !
En relisant les lettres, les discours, les « conseils de sagesse prévoyante » de ce véritable et nouveau « roi prophète », de ce pape de la Légitimité, les Français comprendront de quelle façon le pèlerin errant et le triste exilé que l'Europe et le monde ne pouvaient même pas saluer de son nom véritable avait été vraiment, hors de France, loin d'elle, l'esprit de la conservation politique, providence impuissante mais lucide de son salut. 1
Il est certain qu'avoir raison ne suffit pas. Cependant cela est indispensable. Et c'est par là qu'il faut commencer. Et si l'on a commencé par avoir tort, il faut quitter l'erreur, revenir sur ses pas pour rattraper le point à partir duquel on avancera et on progressera, au lieu de tourner en rond, de reculer ou de piétiner.
Songez, Français de 1920, que nous en sommes encore à chercher les moyens de la continuité politique, de la liaison et de l'autorité dans l'État ! Songez même qu'il a fallu quatre ans de guerre et quinze cent mille morts pour rendre évidents ces besoins élémentaires dont l'Action française était presque seule à s'occuper il y a dix ans !
Évidemment, de telles lacunes, et si profondes, au centre et au sommet, devaient déterminer d'énormes faillites dans la politique de chaque jour. C'est à propos d'une de ces faillites (la réalisation à notre barbe de l'unité allemande en 1866), que le comte de Chambord, avec sa douce et claire opiniâtreté de voyant, donnait, vers la fin de sa lettre au général de Saint-Priest, cette esquisse du programme conciliateur et réparateur :
Un pouvoir fondé sur l'hérédité monarchique, respecté dans son principe et dans son action, sans faiblesse comme sans arbitraire ; le gouvernement représentatif dans sa puissante vitalité ; les dépenses publiques sérieusement contrôlées ; le règne des lois, le libre accès de chacun aux emplois et aux honneurs, la liberté religieuse et la liberté civile conservées et hors d'atteinte ; l'administration intérieure dégagée des entraves d'une centralisation excessive ; la propriété foncière rendue à la liberté et à l'indépendance par la diminution des charges qui pèsent sur elle ; l'agriculture, le commerce et l'industrie constamment encouragés, et au-dessus de tout cela une grande chose : l'honnêteté, qui n'est pas moins une obligation dans la vie publique que dans la vie privée. L'honnêteté qui fait la valeur morale des États comme des particuliers.
Quel beau langage ! Et quelle douce et claire sincérité dans le timbre de chaque mot ! Les Français de mon âge sont dégoûtés de l'idéalisme électoral et du moralisme professoral comme de deux formes inférieures du spiritisme et de l'hypocrisie. Nous n'avons pas envie de crotter de nouveau notre jugement et notre raison dans cette triviale métaphysique. Cependant tout ce que de belles âmes ont pu mettre de confiance et d'admiration en des mots décevants, en des illusions menteresses trouverait, je crois, sa pâture dans la pure lumière, dans l'accent raffiné de cette doctrine où le simple nom de l'honnêteté, écrit avec une foi paisible, développe des résonances mystérieuses. La prétendue « mystique républicaine » est tissue de contradictions qui aboutissent à la faillite, au massacre et à la ruine. Mais la politique réaliste de ce fils de saint Louis confine par la généralité des idées, et par l'humanité du cœur, à je ne sais quel ciel de héros et de sages qui comprend et rassemble tous les Pères de la Patrie.
Le comte de Chambord, après avoir fondé cette tradition de la monarchie enseignante, s'occupa de l'assurer pour la perpétuer. Il l'assura par la fusion. Il l'assura par cette réconciliation de la Maison de France que le noble duc de Nemours avait amorcée vingt ans plus tôt.
On ne dira jamais avec quelle piété exacte, scrupuleuse, le comte de Paris a su recueillir à la mort du comte de Chambord cette tradition de la monarchie légitime, de sa raison, de son droit et de sa doctrine. Les témoins et les confidents de ce règne en exil, si appliqué et si laborieux, admirèrent surtout combien la sociologie du comte de Paris, si haute et si sagace, tendit de p[[lus en plus à vérifier les voies de son auguste prédécesseur. La fusion qui s'accomplissait de la sorte était la vraie ; celle des idées, celle de l'esprit. L'esprit qui avait construit la France, les idées capables de la relever.
En 1883, à la veille de la maladie qui l'emporta, le comte de Chambord, voulant inviter Monseigneur le duc d'Orléans à un séjour auprès de lui, avait chargé quelqu'un de son entourage de tâcher de s'informer des « goûts du petit ». Ceux qui connaissaient bien le jeune Prince ou qui savaient lire un peu dans son avenir auraient pu répondre sommairement que les goûts du petit seraient assurément ceux d'un grand souverain ; le goût de l'autorité familière, le goût de l'ordre dans la cordialité, et, comme il écrivit plus tard, dans « la bonne humeur ». Les curieux sont priés de se reporter aux récits de ses dures expéditions dans les mers polaires et au recueil des paroles royales qu'il a codifiées et intitulées La Monarchie française 4. On y voit, certes, un homme et un Français, mais il est difficile de ne pas être saisi, d'abord, par le visage et l'esprit du Roi."
Conclusion
Le chantre de l'Action française écrira également plus tard à propos d'Henri V: « Il a été prêtre et pape de la royauté plutôt que roi. »
Peut-être Henri d'Artois avait-il simplement compris qu'une monarchie relevée par quelques voix seulement de majorité, donc menacée à chaque élection, et sans que soit tranchée la question de la succession au trône, serait trop fragile, au point de s'effondrer à la moindre occasion.
Lien interne
Henri V article sur le comte de Chambord.
Lien externe
- [1] : Extrait de l'Action française (sur le site Maurras.net).