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Version du 18 janvier 2011 à 11:55
Etat synthétisé du monarchisme russe en 1917
Lorsque la révolution de Février/Mars 1917 éclate, elle met fin à un régime impérial et à une dynastie vieille de 300 ans. L’anarchie qui s’en suit, l’emprisonnement de la famille impériale et enfin le coup d’état Bolchevik d’Octobre 1917 envoie sur les routes de l’exil plus de deux millions de russes à travers l’Europe.
Les Balkans, l’Allemagne et la France voient soudainement déferler dans leurs campagnes et leurs villes des milliers de Russes Blancs alors que la future Union des Républiques Socialistes et Soviétiques (URSS) plonge dans la guerre civile entre partisans du Tsar et communiste. On croit volontiers que l’exil sera bref. Car si la monarchie a été abattue, les racines de son régime sont encore bien vivaces. Il convient donc de s’organiser rapidement afin de préparer le retour de la famille royale d’autant plus que les nouvelles du front laissent entrevoir une victoire quasi certaine des partisans de Nicolas II. Puis vint le temps des désillusions. L’argent commence à manquer, le Tsar a été exécuté le 17 Juillet 1918 avec toute sa famille et les Russes blancs vont être définitivement battus en Novembre 1922 après que l’armée du Général Piotr Wrangel (1878- 1928) composée de 130 000 hommes ait été évacuée sur Constantinople par une flotte anglo-française.
L’Organisation des Mladorossis
A Paris, les Russes blancs se regroupent autour de l’infatigable Généralissime et Grand- Duc Nicolas Romanov et à Munich, les émigrés organisent un congrès avec pour slogan, « Dieu, le Tsar et la Patrie ». Les débats sont vifs. On y accuse pèle mêle les franc- maçons, les juifs….d’être à l’origine de « la dégénération des sociétés occidentalisées » et de facto d’avoir organisé la chute de la monarchie. Une vague d’anti- sémitisme secoue les russes blancs et particulièrement la jeune génération qui n’accepte pas la défaite.
Nous sommes en Février 1923 et ce congrès de Munich va accoucher d’une nouvelle organisation politique. Les Jeunes Russes ou Mladorossy (Molodaïa Rossiia-Союз Младороссов) sont nés. Le but de ce mouvement est surtout d’aider les jeunes émigrés à recevoir une éducation appropriée dans le respect des traditions religieuses orthodoxes, du patriotisme et du code de l’honneur. A sa tête, un russe d’origine azérie de 21 ans, Alexandre Kazambek. Sa verve (bien qu’il soit un orateur à la voix voilée et monocorde) et ses origines (son grand père homonyme était membre de l’Académie Russe des Sciences) en font un leader idéal. Il a même combattu brièvement contre l’armée rouge en Sibérie. Un héros en somme pour ses concitoyens exilés! Kazembek va soutenir dès les premières années de l’existence du mouvement les prétentions du Grand Duc Cyrille Romanov (1876- 1938) qui l’année suivante se proclame Curateur du Trône au grand dam du Grand Duc Nicolas Romanov qui se serait bien vu recueillir l’héritage impérial. Mais si en quelques mois, le mouvement Mladorossi devient le mouvement le plus important parmi ceux crées par les Russes blancs, il se distingue de ceux qui se sont regroupés autour du Grand Duc Nicolas.
En effet, si les russes Blancs dans leur majorité souhaitent le retour de la monarchie dans son ancienne forme ou dans l’établissement d’un régime de type constitutionnel, Kazembek lui aborde la révolution sous un autre angle. Il ne la rejette pas bien au contraire. Il va faire de cette révolution une renaissance pour la société russe en exil. Il déclare : « la solidarité fraternelle de toutes les jeunes forces russes exige de les former comme des combattants pour le salut et la renaissance du pays et l'avenir du service public (…) et des travailleurs ». Sans être marqué à gauche, le jeune Kazembek jette un pavé dans la mare. Tout en reconnaissant l’utilité du régime monarchique, il inclut certains préceptes de la révolution afin que la monarchie défunte se modernise et influe un renouveau en Russie. Si cet esprit quelque peu gauchisant choque les traditionalistes, son discours est plus percutant au sein des jeunes russes qui ont bien compris qu’ils ne doivent plus rien attendre de l’Europe de l’Ouest. D’ailleurs la visite enchantée d’un Edouard Herriot à Moscou en 1922 avait frigorifié plus d’un russe exilé.
On chuchote pourtant déjà qu’Alexandre Kazembek est un agent du NKVD, les services secrets soviétiques. Le leader des Mladarossis ne voit-il pas l’URSS comme « une union d'Etats formés par diverses nationalités, volontairement entrés dans l'empire avec une mission historique commune, spirituelle, une proximité du sang et des intérêts économiques communs ». En 1937, il est aperçu dans un café en compagnie d’agent soviétique.
Les Mladorossis et les prétendants au trône
Le nouveau prétendant au trône n’est pas insensible aux discours des Mladorossis. Ne dit-on pas que ce Prince portait une chemise rouge de révolutionnaire sous son uniforme de Commandant de la Garde Impériale lorsqu’il fit irruption avec son régiment au Palais de Tauride pour y apporter son soutien à la Douma. D’ailleurs il soutient le régime du socialiste Alexandre Keresnski (1881- 1970) lorsque celui-ci arrive au pouvoir le 5 Juillet 1918 après la démission du Prince Lvov. Mais l’extrémisme des Bolcheviks (qui na pas oublié qu’il est un Romanov) ne lui plait guère et le Prince sentant le vent tourner obtient grâce à l’intervention de son épouse, Victoria- Mélita de Saxe Cobourg Gotha des saufs – conduits de la part de Kerenski. La fuite du Grand Duc Cyrille sera digne des romans d’espionnage. Fuyant la Russie avec son épouse enceinte (et qui a caché ses bijoux dans la doublure de ses vêtements), il traverse à pied la Finlande. C’est d’ailleurs là que va naître son fils Wladimir le 30 Août 1917. S’établissant à Saint Briac, en Bretagne, le Grand Duc va se poser en successeur de Nicolas II. Mais si Cyrill Vladimirovitch Romanov Holstein- Gottorp accepte l’idée d’une monarchie où le divin compose avec le prolétariat, il se méfie d’Alexandre Kazembek. Les rumeurs de collusion du leader Mladorossi avec le régime soviétique lui sont parvenues.
Quant à Kazembek, il n’ignore pas non plus que le Tsar de jure flirte avec le régime nazi dont Cyrill aurait rencontré quelques dignitaires lors de son bref séjour en Allemagne. Et là aussi les rumeurs vont bon train. La Grande Duchesse aurait vendu quelques bijoux pour financer le parti nazi naissant..
Mais alors qu’est ce qui uni le leader Mladorossi au Curateur du Trône ? L’amour de la patrie, la volonté de réformer le pays, la restauration de la monarchie.. etc … "L'avenir russe se trouve dans la Russie nouvelle, que nous appelons la Jeune Russie" écrit alors Alexandre Kanzembek qui voit dans son mouvement un second parti soviétique et une opposition révolutionnaire et monarchique. Cyrille voit désormais les choses différemment .Le leader de la révolution bolchevik Lénine mort le 21 Janvier 1924, c’est Joseph Staline qui a pris le pouvoir à Moscou. Le régime s’est mué en dictature et le prétendant au trône commence à exécrer tout ce qui est communiste. Il se rapproche des allemands et des organisations américaines anti- bolcheviks comme le souligneront les renseignements généraux français de l’époque. Mais Cyrille Romanov meurt à Neuilly le 31 Octobre 1938. Son fils Wladimir III reprend la succession et reste quant à lui proche des Madlorossis .. sans pour autant oublier l’option allemande. Il connaît les problèmes des ouvriers, lui-même s’étant fait embaucher comme simple ouvrier dans une usine d’Oxford
Fin du mouvement des Mladorossis
Et c’est bien une autre guerre qui va définitivement séparer le nouveau Grand Duc et Kazembek. Et lorsque les allemands envahissent la France en Juin 1940, Kazembek est immédiatement arrêté, suspecté de bolchevisme. Envoyé en camp de concentration, il est finalement libéré et il en profite pour partir aux Etats Unis, à San Francisco. Le mouvement Mladarossi a périclité depuis un an. Les exactions du régime stalinien ont fait naître dégoût et déception chez les jeunes russes qui reprochent à Kazembek de ne tenir que des discours au lieu d’organiser la révolution monarchiste socialiste tant attendue. Nombre de monarchistes se sont tournés vers l’Allemagne qui offre autant de socialisme que de perspectives de retour à la mère patrie et ce même si l’invasion de la Pologne a jeté le doute parmi eux. Mais chacun sait que le pacte de non agression entre Staline et Hitler ne durera guère longtemps. D’ailleurs, n’a-t-on pas laissé entendre à l’assassin de Raspoutine, le Prince Félix Yossoupov, que le Führer allait libérer la Russie du joug communiste et restaurer la monarchie.
Kazembek qui travaille comme journaliste russe sait-il que le Grand Duc déjeune avec les vainqueurs de Paris ? En tous les cas, il n’a plus de liens avec Wladimir comme avec son mouvement dans lequel il n’exerce plus aucune fonction de dirigeant. Il se consacre à des œuvres caritatives, assiste les églises orthodoxes, enseigne le russe mais les rumeurs sur sa collusion avec les soviétiques le poursuivent. Wladimir finit par refuser le trône russe et ukrainien que l’état- major allemand lui propose. Et Kazembek finira par dissoudre en 1942 les Madlorossis. En Mars 1944, il est arrêté sans explications quelconques, sera emmené en Autriche avant d’être libéré en 1945 par des troupes françaises. La rupture entre le Grand Duc et Kazembek est réelle, l’incompréhension entre les deux leaders et les idéologies qui devaient les rassembler désormais les séparent.
La fin de la guerre, la victoire de Staline conforte Kazembek dans ses convictions mais il a totalement abandonné le principe de la restauration de la monarchie. Utilisé par les services secrets soviétiques aux Etats-Unis, Kazembek est manipulé au nom de la propagande. En 1956, il est autorisé à rentrer en URSS et l’état se charge de lui trouver un emploi au patriarcat de Moscou. Il tombe dans l’oubli, les monarchistes l’accusant de collaboration.
Alexandre Kazambek meurt le 24 Février 1977. Son mouvement n’avait plus d’existence et ses derniers partisans avaient fait soit le choix de la résistance au côté des français soit en combattant avec les nazis. La tentation communiste des monarchistes russes n’était plus qu’un lointain souvenir.
Quant à Wladimir, il devra attendre la chute du communisme pour découvrir la terre de ses ancêtres. Il meurt à Miami en 1992.
Liens Internet
[1] : Biographie du Grand Duc Cyrille Romanov (Fr.)